mercredi 1 février 2012


Etude

La paupérisation des personnes âgées (1/3)

Le 10 janvier 2012
Une tribune de Jean-Pierre Bultez, représentant de l'association les petits frères des Pauvres au sein des réseaux EAPN et AGE platform Europe, parue dans La revue du CLEIRPPA (cahier n°44) de novembre 2011, qui constate la dégradation des conditions de vie d'un nombre croissant de personnes âgées.

La paupérisation en marche des retraités

La baisse générale des pensions et la réforme des retraites

La retraite a longtemps été perçue comme une période "heureuse", avec des moyens confortables, pour des personnes ayant travaillé toute leur vie chez quelques employeurs. Le système de protection avait prévu de venir en aide aux personnes ayant peu travaillé, les femmes surtout, avec un'' minimum vieillesse '' (allocation de solidarité) qui leur était assuré. Le système de pension lui-même s'est adapté en installant un "minimum contributif" (en 1983) pour les personnes ayant de "petites retraites" et un "minimum garanti" pour les fonctionnaires, et les veuves ont bénéficié d'une amélioration des pensions de réversion. Quand on compare les revenus des "actifs" et ceux des retraités en 2008, on constate qu'au niveau moyen comme médian, on avait peu ou prou les mêmes valeurs à 10% près, confirmant que les niveaux de vie changeaient peu lors du passage à la retraite (1).
La réforme des retraites vient réinterroger l'ensemble du dispositif et son impact sur le montant des pensions devient crucial. En effet, si, chaque année, près de 700 000 nouveaux retraités bénéficient de revenus de remplacement supérieurs à ceux des retraités qui décèdent dans l'année, il s'agit encore de la génération qui a travaillé et cotisé toute sa vie. Car l'allongement de deux ans établi par la loi pour atteindre 62 ans (âge de départ possible) et 67 ans (âge pour l'obtention du "taux plein") va probablement aller à l'encontre d'une retraite de même niveau. On ne sait rien, à ce jour, des comportements individuels face à ce déplacement des frontières et à l'augmentation du nombre de trimestres cotisés pour obtenir le taux plein. Mais il y a fort à parier que la plupart des hommes n'attendront pas l'âge de 67 ans pour toucher leur retraite à taux plein et, par conséquent, le taux plein des retraites complémentaires. Quant aux femmes déjà lourdement pénalisées pendant leur vie active, repousser de deux ans leur départ en retraite en laisse plus d'une sceptique. L'entrée dans l'emploi est de plus en plus tardive et la perspective de devoir travailler jusque 67 ans pour avoir un "taux plein" reste théorique pour beaucoup.
La question est donc aussi "psychologique" : va-t-on facilement aller travailler deux ans de plus, quand déjà le nombre de seniors au travail est faible après 58 ans ? Cela va-t -il concerner autant les hommes que les femmes? Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à travailler jusque 65 ans pour avoir leur retraite à taux plein. Qui plus est, ne bénéficiant en moyenne que de 102 trimestres de cotisations, elles accèdent pour les 3/4 au "minimum contributif'' dispositif de complément de retraite. Assisterons·nous à une paupérisation accrue des femmes dans leur vieillissement ? Déjà 66% des femmes qui partent à 65 ans sont inactives, contre 40% pour les hommes.
Le "taux de remplacement" (rapport entre le niveau de la pension et le dernier salaire) est voué à décroître, passant d'environ 85% à 60% selon le COR (Conseil d'Orientation des Retraites) en 2050. Concrètement, les retraités du régime général au 31 mars 2011 reçoivent un montant mensuel moyen de 610 euros, allant de 1008 euros pour les personnes ayant un droit direct et un droit dérivé (en cas de carrière complète) à 282 euros pour un droit dérivé seul.
Par ailleurs, le "service" de la retraite est, pour les pensions normales, de 17 ans pour les hommes et 20 ans pour les femmes. L'espérance de vie d'un homme de 60 ans s'établit à 22,4 ans alors que celle d'une femme atteint 27,2 ans. A l'heure où l'on cherche à relier espérance de vie et allongement des années de cotisations, la juste durée pour avoir le "taux plein" est encore à trouver.
La réforme de 1993 a engagé une réduction des pensions de deux façons : par la base de calcul (sur les 25 meilleures années, et non plus 10 dans le secteur privé) et par l'indexation sur les prix, et non plus sur les salaires. La perte de pouvoir d'achat par l'indexation est de plus de 10% sur 10 ans pour les retraités. Si l'on se battait autrefois pour de bons salaires, maintenant c'est pour sa retraite que se mèneront les combats. La paupérisation des populations retraitées est en route. Et pourtant, le Conseil de l'Union Européenne et la Commission européenne ne se leurrent pas et le disent dans les recommandations à la France (juin 2011) : " ... le système de retraite devrait atteindre l'équilibre d'ici à 2020. Il deviendra vraisemblablement déficitaire par fa suite si aucune autre mesure n'est prise''.

Le rôle du minimum contributif

Dans le régime général, les pensions s'établissent entre un minimum et un plafond (50% du plafond dit de la Sécurité Sociale). Pour 2011, le plafond est établi à 1473 €. Le minimum de pension, appelé "minimum contributif" ou MICO permet de relever les montants de retraite pour les petites pensions obtenues au taux plein. Si les durées de travail ne permettent pas le taux plein, c'est au prorata que le MICO est calculé. Chaque régime, général ou affilié, a ainsi son MICO. Le MICO est donc "individuel" sur la base des années de travail et de cotisations. Mais un retraité peut recevoir d'autres pensions de retraite, venant d'autres régimes. En 2012, le minimum contributif ne sera délivré que sous la condition que toutes les pensions perçues n'excèdent pas un certain montant.
On enregistre 4 750 000 bénéficiaires du "minimum contributif" au 31 décembre 2010 dans le régime général. C'est dire l'impact de ce dispositif concernant 70% des femmes (40% des femmes ayant une pension ont ce minimum contributif établi à 608 euros). Des dispositions peuvent le majorer pour atteindre 664 euros par mois en 2011.

Les pensions de réversion

Depuis la réforme des retraites de 2003, la pension de réversion est désormais attribuée sous conditions de ressources (avoir moins de 1560 €/mois et plus de 55 ans et avoir été marié au moins deux ans à l'assuré, sans s'être remarié). Le montant est égal à 54% de la retraite du conjoint décédé, et partagé entre conjoint et ex-conjoints éventuellement. Le montant maximum de retraite de réversion est de 795 €/mois. Les pensions de réversion peuvent être majorées de 11,1% depuis janvier 2010 sous conditions de ressources plafonnées à 807 euros par mois et sous conditions d'âge, puisqu'il faut avoir atteint l'âge du taux plein du régime. Essentiellement, ce sont des femmes dont les 3/4 ne reçoivent que cette pension de réversion majorée. Le montant moyen avec majoration s'élève à 261 euros pour 213 000 bénéficiaires.

Minimum vieillesse : ce dernier filet a-t-il encore du sens ?

Crée en 1956, simplifié en 2004, établi sur une base familiale, "le minimum vieillesse" garantit un revenu minimal aux personnes d'au moins 65 ans (ou à partir de 60 ans en cas d'inaptitude au travail) sous conditions de ressources. Il devient 1'ASPA (Allocation de Solidarité aux Personnes Agées) en 2007. Il faut résider en France, de manière stable et régulière. Les sommes versées sont récupérées sur la succession selon les règles de l'action sociale. L'indexation du minimum vieillesse est la même que pour les pensions.
Le gouvernement a décidé de relever de 25%. le montant du minimum vieillesse sur la durée du mandat présidentiel. Actuellement fixé à 749 euros pour une personne seule, il s'élèvera à 777 euros en 2012. Nul doute que ce relèvement atteint bien l'objectif de remonter le pouvoir d'achat des personnes bénéficiaires, essentiellement des femmes seules. Pour le moment, aucune étude ne vient confronter ce montant d'allocation avec les besoins essentiels des bénéficiaires. Mais si l'écart entre le montant du minimum vieillesse et le seuil de pauvreté (établi chaque année sur la base de 60% du revenu médian, fichiers fiscaux) est en réduction pour les personnes seules, il reste inchangé pour les couples bénéficiant de cette allocation.
Le fait d'élever le seuil d'accès au "minimum vieillesse" aboutit à augmenter le nombre de bénéficiaires. En relevant le montant de 25% sur 5 ans, on va voir monter probablement le nombre de bénéficiaires de plus de 15%. Mais le "non recours" à ce "minimum vieillesse" n'est pas réellement évalué et l'on pourrait, dans l'avenir, voir remonter le nombre de demandeurs, si les comportements restrictifs quant aux transmissions de patrimoines évoluaient.

En conclusion

Quand on regarde les systèmes conduisant à des pensions minimales (minimum contributif ou pensions de réversion) et le complément qu'apporte le minimum vieillesse, force est de constater la complexité en place, engendrant une difficulté accrue, pour les personnes concernées, à faire valoir leurs droits. Les montants sont hétérogènes, basés sur les individus ou les familles et jouent toujours en "différentiel". Personne ne débat le niveau même de ces "minima".
L'Union Européenne, dans la stratégie sur les pensions et sur l'inclusion active (2008), pousse à la mise en place de systèmes de pensions ou de minima sociaux justes et adéquats, mais sans aucune contrainte sur les Etats membres. L'adéquation dont il est question ne peut qu'être celle établie au regard de la dignité des personnes. D'où un travail qui s'intensifie en Europe sur ce que peut vouloir dire un Revenu Minimum Adéquat, basé sur un panier de biens et services, librement décidé, par consensus, entre des citoyens de tous les âges. Au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Belgique Flamande, Autriche,Suède,lrlande,les travaux essentiellement universitaires ont permis des comparaisons avec le seuil de pauvreté, les échelles d'équivalence, le salaire horaire, dans chaque Etat membre. De quoi alimenter l'élaboration des politiques publiques! Car, de fait, tous les minimas, qu'ils soient issus des systèmes contributifs ou non contributifs, sont au-dessous du seuil de pauvreté, pour une personne seule (949 euros par mois en France, dernière valeur 2008, INSEE). En sus, la prise en compte des conditions de logement (locataire ou propriétaire) et des allocations sociales liées complexifie les comparaisons.

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